Le point de départ. The starting point.

Le véganisme est la base morale, le point de départ, du mouvement abolitionniste pour les droits des animaux. Dans ce blog je vais explorer des problèmes animaliers selon la perspective du mouvement abolitionniste naissant.

2007-05-24

Mobilisation de ressources et cloisonnement de problèmes animaliers

Récemment, Roger Yates a posté une note sur son excellent blog “On Human-Nonhuman Relations”, note sur laquelle j’aimerais mettre l’accent. Cette note, Mobilising Resources (Mobilisation de ressources), traite des raisons sous-jacentes qui poussent les organisations à caractère social à modérer leur message et à adopter une position de “pragmatisme organisationnelle”. Dans son traitement du problème, Roger attire aussi notre attention sur les problèmes engendrés par le cloisonnement des problèmes animaliers qui est souvent pratiqué par des organisations de défense des animaux. Ce problème m’inquiète depuis quelque temps, et Roger m’a gracieusement donné sa permission de traduire sa note en français afin de partager son message important avec mes lecteurs francophones. La note originale de Roger se trouve ici.


Mobilisation de ressources

On vient de discuter sur un forum Internet du fait de faire campagne contre la production de veau, évaluant les mérites des types de campagnes pour les droit des animaux des abolitionnistes et des néo-réformistes. La première position est articulée par Gary Francione (http://garyfrancione.blogspot.com) tandis que le néo-réformisme c’est la notion consistant à penser que « réformes de bien-être + réformes de bien-être + réformes de bien-être + réformes de bien-être »
un jour équivaudrait, d’une certaine manière, aux « droits pour les animaux ».  Par essence, les abolitionnistes considèrent que les animaux non-humains sensibles sont des individus avec des droits et que ce que les humains leur font équivaut à des transgressions systématiques de ces droits, tandis que les néo-réformistes utilisent l'étiquette « droits des animaux » dans un sens de pure forme et ont tendance à ignorer, s’opposer à, ou être irrité par le positionnement philosophique des droits des animaux. Ces derniers – la grande majorité du mouvement actuel de protection des animaux – se plaignent de la « cruauté » et des « souffrances inutiles » et utilisent parfois l'étiquette des « droits des animaux » pour désigner leur groupe.


« Sean » a fait une importante contribution à ce débat en montrant l'inefficacité du réformisme en tant que stratégie pour aider les animaux non-humains. Ceux qui réclament les droits des animaux sont souvent accusés d'être des utopistes et de ne pas être réalistes, mais Sean postule que l'inefficacité du réformisme condamne cette approche à de longues années d'échecs et de minuscules avancées. Par exemple, il suggère qu'un mouvement réformiste pourrait dépenser beaucoup de temps et de ressources à la poursuite d’une réforme, disons, l'établissement de la méthode d’asphyxie en atmosphère contrôlée afin de tuer les poulets. Le succès de cette campagne serait qualifié de « victoire », mais les humains continueraient à manger les poulets, conscients ou non que les méthodes d'abattage des oiseaux viendraient d'être modifiées. Ensuite, dit Sean, imaginons qu'un cirque avec des aniamux arrive en ville et que les gens qui mangent les poulets y assistent. Maintenant il est le temps de réclamer de plus grandes cages et de plus longues chaînes pour les esclaves non-humains du cirque. Même les gens qui ont été sensibilisés aux « méthodes cruelles » de l’abattage des poulets doivent être sensibilisés de nouveau sur la « cruauté des cirques ».

On peut espérer que ces personnes adoptent le message et s'engagent à boycotter tout cirque avec des esclaves non-humains - mais, qu'est-ce qui se passe lorsque ces mêmes gens veulent acheter un nouveau chiot? Ils pourraient penser qu'un chiot est une bonne récompense pour leurs enfants, déçus de ne plus pouvoir aller au cirque. Sean explique qu'encore une fois, ces gens ont besoin d'être sensibilisés sur les conditions affreuses des « puppy mills ». Et de suite, demande Sean, que feront ces gens - s'ils font quelque chose - en apprenant qu'une proposition qui détruira 100 hectares d'arbres, et, qui, ce faisant, tuerait ou déplacerait les résidents non-humains? Encore un besoin de plus de sensibilisation?

Ce que Sean veut dire est clair et bien expliqué : le réformisme « au coup par coup » pour le bien-être animal peut seulement emmener les gens dans un voyage vers les « droits des animaux » à travers une route longue, sinueuse, et pénible. Cette observation, en fait, est trop indulgente envers la stratégie des néo-réformistes, puisque l'abolitionnisme suggère que le réformisme institutionnalisé sert à renforcer le statut de propriété des animaux, un obstacle des plus sérieux qui bloque effectivement le mouvement vers les authentiques droits des animaux. La stratégie des abolitionnistes est de se concentrer sur l'éducation végane, et ainsi couper tout droit à travers le champ de mines que les réformistes essayent de traverser sur la pointe des pieds. Les végans éthiques n’ont pas besoin d’être sensibilisés à chaque fois sur les problèmes concernant les relations entre les humains et non-humains. Pourquoi alors une personne ou un groupe se baseraient-ils sur la voie des réformistes pour faire campagne?

Des idées associées à la théorie de mobilisation des ressources (TMR) apportent une aide ici, bien que je crois qu'elles offrent seulement une solution partielle à la question. La TMR a tendance à voir les organisations à caractère social (OCS) comme des organisations classiques ou comme des entreprises qui prennent des décisions rationnelles – de leur point de vue – concernant leurs activités, leur recrutement et la fidélisation de ses membres.

La TMR peut expliquer pourquoi certains groupes ont tendance à avoir des considérations apparemment de bon sens vis-à-vis de leur stabilité et leur survie, ceci aboutissant au pragmatisme organisationnel qui les amène à modérer leurs aspirations. En pratique ceci veut dire que les OCS commencent à se demander si elles devraient avoir un personnel permanent et rémunéré, un département de ventes, et comment mieux organiser leurs collectes de fonds, surtout quand elles ne peuvent compter sur des legs. Les gens ont tendance à léguer des fonds à des organisations qu'ils croient assez stables pour continuer à exister longtemps après leur mort. On dit que les organisations ne reçoivent leurs premiers legs avant qu'elles aient environ dix ans. Les approches biographiques en sociologie démontrent que beaucoup d'êtres humains aiment laisser une trace de leur existence sur terre, et que ceux qui soutiennent un combat social ont tendance à penser que, en continuant à exister, les organisations qu'ils soutiennent permettent que l'on continue de se souvenir d'eux, surtout si on mentionne leur nom dans les rapports annuels de l’organisation.

Se focaliser sur la stabilité et la longévité de cette manière peut pousser les OCS à modérer leur position de campagne - et surtout quand ils voient que la modération aide à croître la liste de membres. Cependant, les OCS peuvent ainsi souffrir de tensions entre les considérations de ceux que l'on appelle « les pragmatiques » et « les fondamentaux », puisque un grand nombre des membres les plus récents ont probablement adhéré en soutien d'une campagne modérée ou limitée, et non en appui des principes de base qui ont lancé la mobilisation originelle. Nous avons essentiellement un problème de « déplacement d'objectifs » quand des personnes qui avaient l'idée de changer le monde finissent par organiser des événements sponsorisés comme des promenades de chiens afin de collecter des fonds pour des groupes nationaux. Ces idées sont davantage soulignées par la suggestion de la TMR que les OCS sont attirées par la notion de « professionnalisme », et par la création d'un « cercle intérieur » ou d'une « élite » qui est séparée de ceux et celles qui soutiennent l'organisation seulement passivement ou financièrement et qui n'assisteront que rarement à une réunion ou une conférence. Quand ce genre de situation a lieu c'est exactement à ce moment que les organisations tendront à se doter d'un personnel rémunéré et une structure organisationnelle stable.

Alors la TMR voit les OCS comme n'étant plus qu'instrumentales et n'ayant plus qu'une activité « pratique ». Selon la théorie, les OCS, tout comme d’autres organisations, collectent, échangent, utilisent (et gaspillent) des ressources. Ces ressources peuvent être, et ça n’est pas surprenant, des membres, des fonds, des votes, de l’information, et des emplois. Le mouvement moderne de protection des animaux représente un marché compétitif où différents groupes sont en compétition pour attirer et conserver des membres. En effet il se peut que l’Internet ait dégradé la loyauté de membres. Auparavant les OCS s'assuraient la loyauté de leurs membres en leur offrant des privilèges exclusifs telles les journaux et les matériaux de campagne, la plupart desquels sont maintenant disponibles en ligne pour tout le monde, membres ou non-membres.

Le marché aux adhérents aide à expliquer pourquoi tant d’OCS ont « besoin » de régulièrement crier « victoire » dans les batailles qu’elles lancent et soutiennent. Bien sûr, elles doivent toujours avoir de nouvelles batailles à mener, ce qui fait que le problème de l’usage par les humains des autres animaux est souvent compartimenté en divers sous-groupes distincts comme la chasse, la vivisection, le végétarisme, la fourrure. Les organisations peuvent faciliter cette division (la fracture de tout ce qui est automatiquement inclus dans la notion du véganisme éthique) sur leur site web en ayant des liens séparés pour les différents problèmes, tandis que d’autres organisations travaillent tout simplement sur l'un de ses sous-groupes. Ces sous-groupes peuvent eux-aussi se voir divisés, comme ce fut le cas lors des campagnes anglaises contre les sports sanguinaires.

Dans ces circonstances, on comprend aisément que certains groupes répondraient de manière défiante à toute suggestion abolitionniste postulant que la position de base pour toute action en faveur des animaux devrait être le véganisme. Cependant, ces groupes sont certainement chaleureux envers les idées présentées dans The Way We Eat: Why Our Food Choices Matter quand les auteurs Singer et Mason déclarent que l’alimentation est un enjeu éthique « mais il n’est pas nécessaire de devenir fanatique » (2006, p. 278). La discipline sociologique d’éthnométhodologie étudie la quantité due « travail » fournit par les membres d’une société afin de comprendre les messages des autres membres. Une évaluation éthnométhodologique de l’usage du terme « fanatique » dans la dernière partie d’un livre qui décrit l’alimentation végane comme étant un choix alimentaire bon et éthique révèle que le mot « fanatique » est entendu comme « végan » dans le livre de Singer et Mason. Le livre et les OCS de la mouvance actuelle qui feront la promotion de ce livre suggèrent aux adhérents que le véganisme est une chose à laquelle il faudrait peut-être aspirer un jour plutôt qu’une position de base qu’il faudrait adopter immédiatement sur la question de la consommation de la chair et des sécrétions d’autres animaux. L’impression est aussi qu’une fois le parcours apparemment « difficile » vers le véganisme terminé, il n’est pas nécessaire de trop se soucier d’écarts que l’on peut faire comme par exemple manger une crème glacée laitière de temps en temps, comme si un militant pour les droits de la personne (« droits de l'Homme ») serait excusé d’un peu de violence domestique de temps en temps.

Les défenseurs des animaux abolitionnistes, bien sûr, prennent la position du véganisme-comme-base-nécessaire avec sérieux et expriment souvent leur point de vue avec les droits de la personne à l'esprit. Les non-abolitionnistes ont tendance à ne pas baser leur position sur les droits et sur la violation des droits, préférant l’utilisation rhétorique du terme « droits » dans le cadre de notions réformistes contre la « cruauté » et la « souffrance inutile ». Les défenseurs non-abolitionnistes n’ont pas tendance à évaluer leurs revendications en songeant à quoi ressemblerait une campagne identique mais pour les droits de la personne. Par conséquent, ils ne verront pas que soutenir les traitements « moins cruels » des animaux non-humains est équivalent à des défenseurs des droits de la personne demandant aux personnes pratiquant le commerce d’êtres humains de simplement « mieux traiter » leurs prochaines victimes. Au lieu de promouvoir une position cohérente de principe, ils ont l’air de toujours vouloir « avoir quelque chose à dire » à la personne qui ne deviendrait jamais végane ou à la personne qui est contre la vivisection mais ne se priverait jamais de son steak. Il est aussi probable que l’anti-abolitionniste possède des animaux domestiques et soit contre les pratiques « cruelles » d’élevage plutôt que contre l’institution qui permet de posséder des animaux domestiques.

Ainsi, avec une pauvreté d’ambition remarquable, les non-abolitionnistes modèrent leur message et sont entraînés à se prononcer sur la taille de cages, des méthodes d’abattage, et des points précis de méthodes de production. Ça en dit long sur ce mouvement en faveur des animaux non-humains que de telles choses soient considérées comme étant normales dans le courant principal des revendications tandis que la promotion honnête et cohérente du véganisme est caractérisée de fanatique. Une des meilleurs citations de l’écrivain Douglas Adams était qu’un vaisseau spatial se suspend en l’air de la même manière qu’une brique ne le fait pas : semblablement ces non-abolitionnistes s’impliquent dans des calculs réformistes de la même manière que les défenseurs des droits de la personne ne le feraient pas.

-Roger Yates, 7 mai, 2007.

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